Numéro 6

Numéro 6 : « Cartographie des marges : les lieux du possible »

Année 2016

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Comité de rédaction :
Rédactrices en chef : Pauline Armenoult / A’icha Kathrada
Secrétaires de rédaction :  Claire Couturier / Yasna Bozkhova
Chargée de communication : Céline Benoit
Chargées de diffusion : Florelle Isal
Responsables du comité scientifique : Amélie Brito / Adeline Liébert
Comité scientifique (enseignants de Paris 3) : Bruno Blanckeman Mireille Calle-Gruber / Cécile Camart / Michel Collot Claire Davison-Pegon / Teresa Faucon / Julia Gros de Gasquet Emmanuelle Savignac / Jean-Paul Sermain
Comité scientifique (docteurs) : Desrine Bogle / Stéphanie Caët Claire Hélie / Camille Prunet / Stefano Rezzonico Maria Serafina Russo / Anne Sweet / Karima Zaaraoui-Moumid
Comité de lecture : Anne Cousson / Isabela Gusmao Duarte Samuel Harvet / Enora Lessinger / Grégory Miras Claire Poinsot / Cécile Rousselet / Émilie Vergé
Conception graphique et mise en pages : Claire Pacquelet

Pauline Armenoult et A’icha Kathrada ont souhaité accroitre la qualité scientifique du numéro 6, en renforçant le comité scientifique, qui s’est doté de plusieurs enseignants de l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, qui ont ainsi évalué les propositions d’articles de manière anonyme, selon une grille d’évaluation. Il leur semblait également stimulant de créer des échos au sein de la revue entre écritures expérimentées et le travail de doctorants. Un dossier invités a donc été pensé au coeur du numéro, avec des articles de chercheurs (une maître de conférence, une directrice de recherche, un auteur reconnu), côtoyant ceux des doctorants. Pour les prochains numéros, nous espérons pouvoir accueillir d’autres textes d’enseignants et chercheurs expérimentés, qui sont toujours enrichissants pour les jeunes chercheurs.

Sommaire :

Edito 
Pauline Armenoult et A’icha Kathrada

Survenue d’un handicap : une nouvelle idée de la marginalité
Cindy Lebat 

Lors de la survenue d’un handicap au cours de la vie, l’individu se retrouve plus ou moins brutalement projeté dans une réalité dont il ignore le plus souvent tout, ce « monde du handicap » que bien souvent lui-même considérait auparavant comme une marge. Il se trouve subitement marginalisé par son nouveau statut de « personne en situation de handicap », et doit alors (re)négocier et (re)penser sa place au sein de cette catégorie sociale qu’il découvre, mais aussi plus largement au sein du système social en général.
Nous avons choisi, pour aborder ce tournant dans l’histoire de vie des individus, de privilégier une approche qualitative. L’article livre donc les résultats d’entretiens menés auprès de vingt-quatre individus ayant perdu la vue ou l’audition à l’âge adulte. Nous avons choisi de nous pencher spécifiquement sur l’étude d’une pratique socialement marquée et déterminée : la visite de musées. À travers cette pratique se jouent et se dévoilent des enjeux de sociabilité, d’estime de soi ou encore de reconnaissance à l’œuvre dans le processus qui amène un individu, après la survenue d’un handicap, à repenser son rapport au monde.

Herman Melville : la pensée de la marge comme art poétique     
Mathilde Hug 

Pendant plus d’un siècle, les études littéraires américaines ont considéré leur littérature nationale comme un processus autonome, distinct de la culture européenne. La critique plus récente  a montré qu’au contraire, les œuvres américaines de la première moitié du XIXe siècle avaient un fonctionnement post-colonial : leur relation avec la littérature européenne est complexe, entre imitation et rejet (BUELL, 1992). Ainsi, les chapitres 30 et 31 de Redburn d’Herman Melville (1849), dans lesquels le narrateur élabore une poétique d’écriture, ont fréquemment été lus comme une tentative d’émancipation de la culture européenne dominante par une littérature américaine émergente. Le texte vient interroger l’opposition centre / marges, dans la mesure où le narrateur est toujours marginal par rapport à une culture centrale. Cependant, il nous semble que la réflexion de Melville ne se borne pas à refléter les problématiques nationales ou même sociales. Le texte nous invite à comprendre que tant qu’il pense la littérature selon une opposition centre / marge, l’écrivain reste dans une position inconfortable qui ne peut pas être pleinement créatrice. La marge depuis laquelle le narrateur écrit interroge l’existence même du centre : il est possible que le centre ne soit qu’une fiction nécessaire, permettant l’existence de l’écart – ou de la marge – depuis lequel l’écriture peut avoir lieu.

Dandys, femmes marginales et voix celtes dans la littérature n-de-siècle : de la limite éthique aux marges esthétiques               
Stéphane Sitayeb

Non-conformisme, homosexualité, androgynie, dandys, voix celtes, déterritorialisation et femmes marginales (fatales, virginales ou encore à barbe), cartographie de l’ailleurs, utopies et dystopies… Existe-t-il un courant littéraire plus marginal et plus éphémère que le décadentisme ? Entre 1880 et 1890, une constellation de poètes britanniques célèbrent les valeurs non consensuelles du dandysme, dans laquelle l’esthétique remplace l’éthique, et appréhendent la marge dans son sens étymologique (margo, marginis : « bord ») ; celle-ci devient le lieu de nombreux syncrétismes attaqués par les discours socio-médicaux. Nous étudierons en particulier les marges de textes fragmentés situés à la lisière des genres et au sein desquels l’intrusion des langues celtes est l’opportunité, pour l’auteur marginalisé, de marginaliser à son tour le lecteur. Cette réflexion sur la norme et la marge révèle une facette cachée du décadentisme, discours idéologique malgré la volonté de ses partisans (« There is no such thing as a moral or an immoral book […] All art is quite useless », affirme Oscar Wilde) ayant permis de repousser les limites de certaines pratiques, notamment sexuelles, au point que des scientifiques tels que Richard von Krafft-Ebing révisèrent leurs théories sur l’homosexualité, alors perçue comme une pratique atypique et non plus comme une maladie nerveuse.

« For whites only » : dans les marges de Mobile          
Marion Coste 

Mobile, écrit par Michel Butor en 1962, est une œuvre mobile qui se veut une Etude pour une représentation des Etats-Unis, comme l’indique son sous-titre. Jouant sur des marges typographiques variées et des espaces de blancs importants sur la page, ce collage textuel donne à voir le racisme, les méfaits du discours publicitaire et de la surconsommation, sur la société américaine, rongée par un sentiment de culpabilité qui l’habite depuis le génocide indien et l’esclavage des Noirs. Tous ces discours tendent à marginaliser certaines catégories de la population. Ce n’est pas par la voix d’un narrateur que passe la dénonciation, mais seulement par le rapprochement des différents fragments de textes, issus d’extraits de journaux, de procès, de discours de présidents américains, de journaux publicitaires, ou écrits par Michel Butor. Cette dénonciation ne reste pas stérile : la forme littéraire, conçue pour pouvoir accueillir et harmoniser tous les discours en son sein, est l’antidote des maux qu’elle dénonce, installant un espace dans lequel les notions de centre et de marge s’annulent pour donner lieu à ce que Michel Vachey appelle un « espace indien ».

Dossier invités

Marge(s) de la poésie              
Anne Gourio

L’article s’intéresse tout à la fois aux marges du genre poétique et à la poésie conçue comme marge en tant que telle. Pour ce faire, il travaille sur le basculement qui conduit la poésie, genre central dans la classification aristotélicienne reprise par le classicisme, à la marginalité assumée qu’elle se choisit à partir du milieu du XIXème siècle. Il s’attache à la différence entre une conception de la marge pensée comme seconde, comme rupture de l’harmonie normative, et une approche de la marge abordée comme nouveau centre créateur et réserve de nouveauté. Il tente de montrer ensuite que la marginalité propre à la poésie moderne tend même à effacer la référence à un centre. C’est alors la langue poétique en tant que telle que, à partir de quelques exemples puisés dans la poésie du XXème siècle, on définit comme langue du dehors et de l’étrange. On interroge sur ce point la poésie à partir de la notion d’ « impouvoir » en montrant que l’écriture s’entend comme acte d’extraction : la langue se voit délogée du cours du monde, désormais en retrait du pouvoir que ce dernier pourrait exercer sur elle.

Marges et Pleine Marge     
Jacqueline Chénieux-Gendron

En marge de l’Histoire         
Gérard Macé

Notes de lecture de Gérard Macé, un texte inédit qui sera prochainement publié dans son intégralité chez Gallimard dans un ouvrage intitulé Pensées simples, volume III.

AKA Serial Killer, ou l’impossible alias : la marge comme envers de la représentation 
Hugo Paradis-Barrère

Le présent article s’appuie sur une analyse du film japonais AKA Serial Killer, réalisé par Masao Adachi en 1969, et qui s’attache à retracer la vie de Norio Nagayama, jeune tueur en série condamné à mort, pourtant invisible tout au long du film. Il s’agit ici de montrer la manière dont Masao Adachi fait de la marge le principe même de son dispositif filmique. Si celle-ci est constitutive de la Fukeiron, la théorie du paysage développée par le réalisateur, elle s’affirme également comme une réponse possible à la tension résultant d’une narration disjointe, où images et mots évoluent de manière indépendante. Distinguant trois types de paysages fonctionnant selon des régimes propres, l’article en vient finalement à questionner la marge de l’image non seulement comme prolongement ou altérité possible, mais encore comme frontière poreuse entre geste de filmer et sujet filmé. Ces différentes tentatives de matérialisation d’une marge par essence invisible aboutissent enfin à poser la question des limites de l’image, et de l’impossible envers de la représentation.

Incursion dans l’œuvre d’Ascanio Celestini : lever de rideau sur les espaces marginaux  
Magali Alphand

Ascanio Celestini est un artiste italien reconnu en tant que l’un des représentants majeurs de la seconde génération du théâtre de narration (teatro di narrazione). Depuis plusieurs années il a choisi comme ligne directrice de ses projets – spectacles dont il est à la fois auteur et acteur et qui se déclinent sous la forme de film et roman par exemple – la découverte de plusieurs espaces marginaux : l’usine (Fabbrica), l’asile (Pecora nera), un centre d’appel emblématique du travail précaire (Lotta di classe) et la prison (Pro Patria). En partant de l’étude d’Erving Goffman sur les institutions totales, cet article souligne la façon dont Celestini rend compte des particularités de ces milieux, lesquels sont inscrits dans la société mais en constituent pourtant une périphérie (séparation physique et mentale, perte d’individualité, etc.). Ses créations s’appuient sur les témoignages de personnes qui ont connu ces institutions de l’intérieur, il s’agit de comprendre quelle est la particularité de ces paroles (formulation d’une situation tue ou difficilement exprimable) et de quelle façon le dramaturge s’empare de cette source documentaire. Finalement, l’artiste se présente comme un témoin, conteur navigateur ayant exploré ces marges pour en dévoiler les travers et les sortir de leur nébuleuse sociale.

 

 

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