Numéro 3

Numéro 3 : « Désobéir ? Désobéissez ! Entre obéissance et désobéissance, limites et prises de risque »

Année 2011-2012

couverture 3

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Comité de rédaction :

Comité de rédaction : Agathe Dumont / Elsa Polverel
Secrétaire de rédaction : Vanille Roche-Fogli
Comité de lecture : Inès Amami / Clélia Barbut / Thibaut Chaix-Bryan / Claire Conilleau / Vinciane Garmy / Emilie Martz-Kuhn / Noémie Monier / Sarah Montin / Lison Noël / Élodie Vignon
Conception grahique, photographies, mise en pages : Claire Pacquelet (www.icietcote.fr)

Sommaire :

Edito Agathe Dumont & Elsa Polverel

Invités

La désobéissance du ventre ? Alice Béja

Virginia Woolf et le point de non-retour ou La littérature débridée Anaïs Frantz

Erich Von Stroheim : désobéir pour donner naissance à l' »homme que vous aimerez haïr » Clémentine Tholas-Disset

Entre autorité et insubordination : le cas Coetzee Madeleine Laurencin

L’obéissance contestataire : l’exemple de White-Jacket et de Billy Budd de Melville Antoine Vegliante

Images de la désobéissance dans l’animé : révolte et résistance des images dans Akira de Katsuhiro Otomo (1988) Marie Pruvost-Delaspre

Hors cadre : émancipations d’un art connecté Cécile Welker

Pointiller… regard orienté Claire Pacquelet

De la condamnation à la légitimation : représentations de la désobéissance dans le feuilleton quotidien Plus Belle la Vie Marine Legagneur

La désobéissance civile et théologique : un délit ou un devoir en droit canonique? Elsa Déléage

Apprendre à désobéir ? Libéralisme et enseignement littéraire sous la monarchie de Juillet Stéphanie Bénard

Résumés des articles :

Virginia Woolf et le point de non-retour ou La littérature débridée Anaïs Frantz

La désobéissance de Virginia Woolf, dans le cadre de la création littéraire, n’est pas aussi spectaculaire que le geste d’Ève par exemple ; elle est pourtant radicale. Tandis que dans l’épisode du « péché originel », comme dans tous les mythes fondateurs, la transgression est rapportée depuis sa sanction, justifiant en quelque sorte le système normatif qu’elle déborde, l’œuvre de Woolf cherche le point de non-retour. Le personnage d’Orlando, dans le roman éponyme, qui traverse l’histoire littéraire affranchi des lois du genre, en marge de tous les repères, est à ce sujet exemplaire. Le changement de sexe qui l’affecte au milieu du roman n’est pas de l’ordre du travestissement : il n’y a pas un « vrai sexe », pour reprendre l’expression de Foucault, c’est-à-dire une identité à vérifier ou à laquelle revenir. Orlando incarne la littérature débridée de Woolf, lorsque la création poétique devient la zone franche de l’espace politique : un lieu hors lieu où veiller sur de nouveaux horizons.  

Erich Von Stroheim : désobéir pour donner naissance à l' »homme que vous aimerez haïr »   Clémentine Tholas-Disset

Le grand public connaît Eric Von Stroheim, curieux acteur et réalisateur du cinéma des débuts, pour  son incarnation filmique de l’homme cruel. Il s’est vu attribuer par le premier Hollywood principalement des personnages d’européen aux moeurs étranges et aux noirs desseins et a été associé à l’idée d’altérité dont le cinéma hollywoodien a besoin pour façonner son message manichéen et univoque.  Pragmatique et désireux de réussir, Eric Von Stroheim ne rechigne pas à être cet autre que l’on méprise, il va même plus loin : provoquer la haine du public pour marquer les esprits devient son fonds de commerce ; plutôt que de vouloir jouer les héros, il est l’archvillain. Bien évidemment, Von Stroheim n’a pas inventé l’ennemi archétypal mais il a su créer le premier véritable méchant cinématographique dans le contexte d’un star system naissant. L’empreinte laissée par Von Stroheim sur le cinéma international est tout à fait saisissante et il faut donc se demander de quelle façon géniale il a fait de la transgression et de l’insoumission ses marques de fabrique, pour inventer, d’une part, un personnage aussi abject et antisocial que fascinant et, d’autre part, pour s’affirmer comme réalisateur en méprisant constamment les lois du nouveau monde professionnel qu’est l’industrie du film.

Entre autorité et insubordination : le cas Coetzee Madeleine Laurencin

Ecrivain célèbre aujourd’hui pour ses romans poignants, J.M. Coetzee n’a jamais été une figure de la résistance sud-africaine. Alors qu’il ne soutient nullement le régime de l’apartheid en place, il refuse de s’engager aux côtés d’écrivains et d’hommes politiques. Et même lorsqu’il devient connu, Coetzee affirme que le rôle d’un écrivain n’est pas de se battre pour une cause, mais d’écrire. Se présentant comme un citoyen de la République des Lettres avant tout, ses romans n’en sont pas moins des preuves qu’il désobéit aux attentes de l’état, en insérant la réalité de façon détournée dans ses œuvres. Désobéir aux attentes de l’Etat, désobéir aux attentes du monde académique épris de littérature postcoloniale à l’époque, Coetzee, à trop vouloir être indépendant, court-il le risque de désobéir aux principes d’écriture énoncés par Blanchot ?  

L’obéissance contestataire : l’exemple de White-Jacket et de Billy Budd de Melville   Antoine Vegliante

La désobéissance prend une forme particulière dans les œuvres de Melville : dans le cadre extrêmement strict du navire de guerre, régi par la loi martiale définie comme inique à bien des égards, la désobéissance frontale n’est pas envisageable. C’est paradoxalement par une obéissance irréprochable et totale que les personnages de White-Jacket et Billy Budd parviennent à renvoyer la loi martiale à sa cruauté et à son absurdité. L’obéissance devient ainsi contestataire car elle expose pour tous, camarades matelots, mais aussi bien sûr les lecteurs citoyens américains à travers la narration et aujourd’hui les lecteurs contemporains du monde entier, les insuffisances de la Loi. Le cadre non maritime de Bartleby offre une mise en perspective du rapport complexe de Melville à l’autorité en présentant aussi une forme inouïe de désobéissance, devenue emblématique.

Images de la désobéissance dans l’animé : révolte et résistance des images dans Akira de Katsuhiro Otomo (1988) Marie Pruvost-Delaspre

Cet article propose de se pencher sur la problématique de la représentation de la catastrophe, telle qu’elle se pose dans les films d’animation japonais. En effet, le dessin animé, par sa dimension polymorphe et changeante, a été rapidement intéressé par la représentation d’images, de souvenirs, a priori impossibles à figurer. Mais peut-on donner une image aux bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki ? Notre hypothèse est ici que figurer la bombe constitue une infraction, sociale, politique, et historique. Malgré l’impossibilité qui semble se dessiner derrière cette question, le surgissement, voulu ou inconscient, de la catastrophe nous paraît travailler le cinéma d’animation japonais. Le film de Katsuhiro Otomo, Akira (1988), qui met en scène une bande de voyous dans un univers post-atomique, sonne comme un cri de révolte contre le mensonge et le silence imposés par la société sur l’Histoire. La question de la désobéissance est ici fondamentale, car elle éclaire le lien étroit qui s’est instauré entre le trauma de la bombe, et l’animation comme forme artistique donnant à voir un monde différent, qui pourrait bien être celui des révoltés et des exclus ; de telle manière que l’on pourrait se demander s’il n’existe pas une correspondance entre le cinéma d’animation comme transgression des modes de représentation traditionnels, et le message de désobéissance de l’animé japonais.  

Hors cadre : émancipations d’un art connecté   Cécile Welker

Aujourd’hui, si de nombreux artistes utilisent des outils numériques, seule une poignée d’entre eux l’envisagent comme un médium à part entière, travaillant ses spécificités, ses originalités. Nous pensons que c’est cette utilisation éclairée de l’outil Internet qui peut placer le Net-art au paroxysme de l’art numérique, en questionnant réellement le médium numérique, pour apporter aux œuvres une esthétique renouvelée. Devant ces nouveaux médias de communication, les net-artistes ont su se substituer aux institutions, voire les guider. C’est cette prise de risque, de changement de donne, qui a fait évoluer les créations numériques. Cependant, face à ces créations hybrides et paradoxales, il est difficile de s’adapter. Le fait même d’être pertinent et en adéquation avec leur médium, font des créations du Net-art des œuvres impalpables et difficilement maîtrisables, de la part du public comme des institutions.

De la condamnation à la légitimation : représentations de la désobéissance dans le feuilleton quotidien Plus Belle la Vie Marine Legagneur

Plus Belle la vie, feuilleton connaissant un important succès d’audience, représente un espace d’expression considérable pour France 3. La chaîne de service public souhaite en faire le vecteur d’informations et de valeurs, et cherche conséquemment, par le biais de la fiction, à tenir un discours axiologique sur le lien social. Dès lors que  le feuilleton se veut le reflet de la société civile, il est amené à apporter un regard sur ce qui la fonde, et donc sur ses lois. Comment se positionne-t-il alors autour de la notion de désobéissance – notion problématique lorsqu’il s’agit de représenter la démocratie ? Il semble que, si la série semble dans un premier temps condamner fermement l’insubordination, elle puisse toutefois dans certains cas comprendre et excuser un comportement désobéissant – voire même juger la désobéissance utile quand elle est l’outil d’une réflexion sur la matière sociale.

La désobéissance civile et théologique : un délit ou un devoir en droit canonique? Elsa Déléage

Cette question théorique pourrait ne présenter que des enjeux réduits si elle n’avait pas trouvé d’application concrètes : on pourrait citer, parmi les plus marquantes, le ralliement problématique des catholiques à la République française en 1892 et le silence ou non des autorités catholiques sur les violations des droits de l’homme commises par le pouvoir politique, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les cas de Mgr Gaillot, Mgr Lefebvre ou plus récemment de l’évêque Hans Küng soulèvent le problème de la désobéissance théologique. Comment cette dernière peut-elle devenir effective alors que le fonctionnement de l’Église repose sur le principe de l’infaillibilité pontificale, c’est-à-dire sur l’obéissance ?  

Apprendre à désobéir ? Libéralisme et enseignement littéraire sous la monarchie de Juillet   Stéphanie Bénard

Avec son recueil de morceaux choisis, publié sous la Monarchie de Juillet, Tissot attribue à l’enseignement littéraire une nouvelle fonction : former l’esprit critique des jeunes lecteurs. Alors que l’enseignement rhétorique traditionnel est fondé sur l’imitation d’idéaux moraux et stylistiques atemporels, Tissot recourt à l’histoire littéraire pour mettre les textes en perspective au lieu de les présenter systématiquement comme modèles et promeut les genres satiriques ainsi que les auteurs qui se sont illustrés par leur indépendance ou leur caractère transgressif. S’il semble vouloir donner goût à l’indépendance, c’est parce qu’elle serait un trait identitaire de l’ « esprit » français. Tissot souhaite que la future élite sociale, patriote et libérale, sache désobéir si le pouvoir politique est confisqué par un despote.

 

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