Appel à contributions numéro 7 (archives)

Cet appel à contributions s’adresse uniquement aux doctorants de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Appel à contributions, numéro 7, Traits-d’Union

Le stéréotype : fabrique de l’identité ?

Le stéréotype est à l’origine même de l’histoire1, dans la représentation de l’autre, de l’étranger. Si l’étymologie du terme désigne une technique d’imprimerie, un « cliché métallique en relief obtenu, à partir d’une composition en relief originale », il désignera, par glissement sémantique, un « ouvrage imprimé avec des stéréotypes » et par analogie une « idée, opinion toute faite, acceptée sans réflexion et répétée sans avoir été soumise à un examen critique2 ». Mythe, archétype, topos sont ainsi des concepts pour désigner le stéréotype, qui est d’abord marqué d’un sème péjoratif3, de même que ses synonymes « cliché, préjugé4». Paradoxalement, malgré des usages divers, le stéréotype reste une notion passe-partout, qui se conceptualise seulement en 1922 grâce à Walter Lippmann (Public Opinion), analysant l’importance des images stéréotypées dans la construction de traditions. Toutefois, certaines études soulignent la manière dont le stéréotype devient « l’objet d’une réhabilitation qui permet de souligner ses fonctions constructives5 ». Le stéréotype est-il alors uniquement une image figée, qui s’impose et se répète, comme le souligne Barthes au sujet de la doxa6? Au-delà de cet aspect constant, n’y a-t-il pas « une vraie construction intellectuelle, un outil pour comprendre, mis en place par une société, une personne […] un outil même pour créer des images sociales et de toute nature7 » ?

Ce numéro de Traits-d’Union s’interroge par conséquent sur les causes, les enjeux et les résultats de l’emploi volontaire de stéréotypes pour servir une posture identitaire. Cette question devra être analysée comme un élément constitutif d’une identité (culturelle, sociale, littéraire, artistique, linguistique, politique…).

Le comité de sélection s’intéressera particulièrement, mais non exclusivement, aux propositions d’articles traitant des questions suivantes :

– Le texte littéraire, dépassant le discours dominant et figé que le stéréotype impose, permet d’interroger les dynamiques narratives qui régissent les textes, à travers des représentations originales ou réactualisées, qui côtoient des imaginaires typés. La question du stéréotype peut aussi être analysée au prisme du comparatisme, puisqu’il est “herméneutique de la défamiliarisation” selon Françoise Lavocat8 et propose de lire les textes par l’écart, et ainsi de déterminer les spécificités de ce que peut être, en littérature, une poétique complexe du stéréotype, une identité de soi et de l’autre.

– L’Autre, c’est aussi le deuxième sexe et dans cette perspective, le stéréotype semble inévitable dans des études sur le genre (au sens de gender). En effet, une dichotomie entre le masculin et le féminin s’impose dans des études essentialistes, alors que les femmes renforcent les stéréotypes tout en les niant. Judith Butler (Gender Trouble) souligne qu’il est indispensable d’aller au-delà de l’approche essentialiste, puisqu’il existe des individus qui ne peuvent s’intégrer dans les catégories stéréotypées de la féminité et de la masculinité. Le genre serait alors performatif, selon Butler, dont l’idéologie est proche de celle de Simone de Beauvoir (Le Deuxième Sexe), affirmant que le genre est un produit de la société. Ce phénomène de rejet est partagé par celle qui incarnera le désir de liberté dans l’écriture : Virginia Woolf ne cessera d’affirmer la nécessité pour la femme auteur d’écrire librement, s’éloignant du stéréotype d’une écriture féminine (A Room of One’s Own). Le stéréotype peut donc devenir un outil de recherche et de création littéraire.

– La naissance des stéréotypes apparaît en réalité dès l’enfance, avec le système éducatif, producteur de distinctions, voire d’inégalités entre les sexes. Mais il sera pertinent de se demander comment ces mêmes stéréotypes peuvent, plus tard, influencer les choix d’orientation chez les adolescents ? Les articles pourront par exemple s’intéresser à la manière dont l’univers scolaire, malgré les clichés, peut aider à changer les mentalités9 sur les préjugés sexistes, culturels ou sociaux et peut être vecteur d’identité. Au sein des supports pédagogiques, le contenu de l’enseignement peut aussi illustrer l’idée de stéréotype dans la diffusion du français à l’étranger. Le stéréotype est bien souvent à l’origine d’un rayonnement de la culture française, au sein du débat entre culture dominante et identités mineures, cherchant à élaborer pour elles-mêmes une place dans la « République mondiale des lettres 10».

– Empreints de clichés, les supports utilisés pour l’enseignement du français à l’étranger, par exemple, sont représentatifs d’une pédagogie coloniale11. En réaction à ces conceptions essentialistes et primitivistes dans les champs d’action du français langue étrangère, s’est développé un courant didactique du plurilinguisme et du pluriculturalisme12. Cette volonté de lutter contre les stéréotypes apparaît également aux États-Unis avec les études afro-américaines et les cultural studies, qui apportent un nouveau regard sur les minorités ethniques et sociales. Le mouvement Black is beautiful illustre parfaitement comment le stéréotype participe à la construction d’une identité sociale, assimilée par le sujet stéréotypé lui-même dans une ultime volonté antiraciste de réaffirmer le stéréotype d’une “Africanité”. Le stéréotype ne correspond alors pas à l’image de l’autre, mais de soi.

– Dans le domaine des arts et médias, les constructions imaginaires sont souvent employées en tant que raccourcis, permettant au public de reconnaître rapidement un type de personnage. Au-delà d’un simple moyen de facilité ou d’un outil pour provoquer le rire, le stéréotype dans ce contexte médiatique illustre toutefois que les esprits sont marqués par des évidences, à l’encontre desquelles il est difficile de lutter, s’agissant souvent de phénomènes intégrés et répétitifs13. L’utilisation de stéréotypes relève des problématiques de représentation et d’identité souvent lorsque le public se forge une idée d’un groupe avec lequel il n’a aucun contact. L’impact de ses représentations, dans le domaine artistique et dans les médias, s’avère d’autant plus puissant lorsqu’il s’agit de groupes dont on n’a pas de connaissance effective, mais surtout lorsqu’il s’agit de ceux que l’on côtoie au quotidien ou auxquels on appartient.

– D’un point de vue sociologique, l’identité collective est elle-même forgée à partir de stéréotypes. Chaque individu possède une multitude d’identités sociales et d’appartenances (à une classe sociale, un groupe socioprofessionnel, une ethnie, une nation, un sexe…) et le groupe possède ainsi une physionomie spécifique qui le différencie des autres. Comment se manifeste ce caractère collectif dans la création et l’attribution de stéréotypes ? Ces derniers se renouvellent-ils afin de guider « la classification des nouvelles informations à des catégories conceptuelles déjà existantes14 »? Par ailleurs, face à la globalisation, la crise européenne, les situations migratoires, le terrorisme et la montée de la droite, comment s’utilisent les stéréotypes dans le discours d’une société liquide15? A-t-on davantage recours aux stéréotypes en temps de crise ?

Les propositions d’articles, sous forme d’abstracts (500 mots +/- 10 %, hors bibliographie), en langue française, accompagnées d’une courte notice biographique, sont à envoyer pour le 12 septembre 2016 par courriel, au format .doc, à contact@revuetraitsdunion.org.

Pour information, les articles retenus après sélection du comité scientifique devront comprendre dans leur version finale environ 30 000 caractères +/- 10 %, espace compris, et seront à envoyer pour le 21 novembre 2016.

Mots clés : stéréotype, clichés, représentations, constructions imaginaires, préjugés, identité, identification,construction, gender, éducation, culture populaire, médias.


[1] Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire (1952), Paris, Denoël, 2007.
[2] Dictionnaire du CNRTL, [En ligne, page consultée le 21 juin 2016]. Disponibilité et accès : http://www.cnrtl.fr/definition/stéréotype.
[3] Comme le note Isabelle Rieusset-Lemarié dans « Stéréotype ou reproduction de langage sans sujet », la valeur péjorative est « d’autant plus forte qu’elle a fini par jouer le rôle non plus seulement d’une connotation négative mais de [sa] dénotation pure et simple », dans Alain Goulet, dir., Le stéréotype. Crise et transformations, Centre de Recherche sur la Modernité, Université de Caen, 1994, p. 25.
[4] Dictionnaire du Larousse, [En ligne, page consultée le 21 juin 2016]. Disponibilité et accès : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/stéréotype/74654/synonyme.
[5] Ruth Amossy et Anne Herschberg Pierrot, Stéréotypes et clichés : langue, discours, société, Nathan, 1997, p. 28.
[6] « La Doxa (mot qui va revenir souvent), c’est l’Opinion publique, l’Esprit majoritaire, le Consensus petit-bourgeois, la Voix du Naturel, la Violence du Préjugé », Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Le Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1975, p. 51.
[7] Marcel Grandière, « Introduction. La notion de stéréotype », dans Marcel Grandière et Michel Molin, dir., Le Stéréotype : outil de régulations sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 3.
[8] Françoise Lavocat, “Le comparatisme comme herméneutique de la défamiliarisation”, Vox-poetica, [En ligne]. 2012. [Page consultée le 18 juin 2016]. Disponibilité et accès : http://www.vox-poetica.org/t/articles/lavocat2012.html.
[9] Par exemple, la Ligue de l’enseignement de Paris a lancé en 2011 une opération « Filles et garçons : cassons les clichés » et à partir de 2013, un dispositif expérimental (ABCD de l’égalité) a été mis en place visant à lutter contre le sexisme et les stéréotypes de genre.
[10] Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, Paris, 1999.
[11] Valérie Spaëth, La Formation du français langue étrangère : le paradigme africain et ses enjeux, de la colonisation (1880-1900) aux indépendances (depuis 1960), thèse soutenue à la Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 1996.
[12] Voir à ce sujet Véronique Castellotti et Danièle Moore, Représentations sociales des langues et enseignement, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2002 et Marisa Cavalli, Daniel Coste, et al., L’éducation plurilingue et interculturelle comme projet, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2009.
[13] Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, 1973, p. 69.
[14] Ruth Amossy et Anne Hercschberf Pierrot, Stéréotypes et clichés – langue, discours, société, Editions Nathan, Paris, 1997.
[15] Zygmunt Bauman, La vie liquide, trad. de Christophe Rosson, Rodez, Le Rouergue-Chambon, 2006.

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